Le 30 juillet 1932, Albert Einstein écrit à Sigmund Freud une lettre dans laquelle il interpelle le très célèbre père de la psychanalyse sur les raisons de la guerre :
« Existe-il un moyen d’affranchir les hommes de la menace de la guerre ?[2] Comment peut-on détourner les humains de considérer que se faire la guerre est inéluctable ? Je suis convaincu que, écrivait-il à Freud, vous serez à même de m’indiquer des moyens éducatifs qui, par une voie, dans une certaine mesure étrangère à la politique, seraient de nature à écarter des obstacles psychologiques, que le profane en la matière peut bien soupçonner, mais dont il n’est pas capable de jauger les correspondances et les variations. »
La réponse que lui fit celui-ci peut se synthétiser dans cette phrase :
« Tout ce qui conduit les hommes à se grouper participe de ces communautés de sentiments, de ces identifications. C’est sur elles que repose la structure de la collectivité humaine ».
Chez les humains, la Culture, la civilisation se perpétuent depuis des temps immémoriaux et c’est d’ailleurs ce qui fonde l’humanité tout entière et chacun d’entre nous. D’après Freud, deux traits principaux caractérisent la civilisation : le renforcement de l’intellect et l’intériorisation de l’instinct d’agression. Il conclura sa lettre en écrivant : « Tout ce qui fait avancer le devenir culturel agit simultanément contre la guerre. »
Maria Montessori dans une conférence, à Genève en 1932 aussi, insiste sur les liens entre l’éducation et la paix. Elle déclare à la tribune de l’Office International de l’éducation : « Une éducation qui fait obstacle au développement de l’intelligence, qui condamne des pans entiers de la population à l’ignorance, est un crime. Toutes nos richesses provenant du travail de l’homme, il est absurde de ne pas considérer l’homme lui-même comme la plus fondamentale de nos richesses. Nous devons rechercher, cultiver et mettre en œuvre les dynamismes de l’homme, son intelligence, son esprit créatif… La production de l’homme doit être orientée vers un but que nous pouvons appeler civilisation, ou, en d’autres mots la création d’une super-nature, œuvre de l’humanité. […] Le cœur de la question de la paix et de la guerre ne réside pas dans le besoin que les hommes peuvent avoir des armes matérielles pour défendre les frontières géographiques. La première vraie ligne de défense contre la guerre est l’homme lui-même, car là où l’homme est dévalorisé et où règne le désordre social, l’ennemi universel est prêt à profiter de la brèche qui se trouve ainsi créée. »[3]
Tous deux se rejoignent sur le rôle essentiel de l’éducation. Pour Maria Montessori l’éducation est conçue comme une aide à la vie et commence avec la vie même et c’est au cours des toutes premières années de celle-ci que les fondements de l’être et de son existence s’établissent.
Plus que jamais notre civilisation doit s’inquiéter de ces temps précoces de la vie des enfants et doit, plus que jamais, en prendre soin, c’est là que se fondent les berceaux de la civilisation, que les liens se créent et déterminent le futur du devenir humain ….
En 1937 à Copenhague cette fois, elle insistera encore sur l’importance d’éduquer pour la paix. Écoutons ce qu’elle dit.
« Aujourd’hui, en cette période particulière de l’histoire, l’éducation prend une importance considérable. Nous insistons de plus en plus sur son utilité pratique, que nous pouvons résumer en une phrase : l’éducation est la meilleure arme pour la paix.
Voyez la terrible puissance et la perfection technique des armements en qui les gens se fient pour se protéger en cas de guerre ! Cette réalité nous oblige à dire : l’éducation ne sera une arme capable d’assurer la sécurité et le progrès des peuples du monde entier que lorsqu’elle aura intégré, elle aussi, les progrès de la science et le même niveau d’excellence.
Je n’entends pas aborder ici la question de savoir s’il faut se doter d’armements, car je me refuse à traiter de questions politiques. Je dis simplement que la véritable défense de l’humanité ne peut se baser sur les armes. Tant que nous ne ferons pas confiance à la grande « arme pour la paix » qu’est l’éducation, les guerres continueront de succéder aux guerres et tant la sécurité que la prospérité des hommes ne seront pas assurées.
L’éducation étant la seule voie de salut pour la civilisation et l’humanité, elle ne saurait se confiner dans ses limites actuelles, ni conserver sa forme présente. L’éducation d’aujourd’hui est très en deçà des besoins de nos contemporains. Pour prendre une image dans la note de nos préoccupations, on pourrait dire que, par rapport aux armements modernes, l’éducation est restée au niveau de l’arc et des flèches. Comment pouvons-nous nous défendre contre la puissance des canons et des bombardements aériens avec un arc et des flèches ? C’est pourquoi il nous faut développer et perfectionner cette arme qu’est l’éducation.
(…)
En prenant soin de cet embryon comme de notre trésor le plus précieux, nous travaillerons à faire grandir l’humanité. Mais une véritable et puissante organisation de l’humanité ne peut s’improviser du jour au lendemain.
C’est là un fait d’une grande importance pratique. Le travail de fond nécessaire pour une telle organisation doit commencer dès l’enfance, au début même de la vie. Bref, la société ne peut être organisée que si l’éducation offre à l’être humain une série d’expériences sociales progressives au fur et à mesure qu’il passe d’un stade de sa vie à l’autre.
Les pays qui veulent la guerre préparent les jeunes à la guerre, mais ceux qui veulent la paix ont négligé les enfants et les adolescents, car ils sont incapables de s’organiser pour la paix.
La paix est un principe pratique de civilisation humaine et d’organisation sociale qui est fondé sur la nature même de l’homme. La paix n’asservit pas l’homme, bien au contraire, elle l’exalte. Elle ne l’humilie pas, bien au contraire, elle le rend conscient de son pouvoir sur l’univers. Et parce qu’elle est fondée sur la nature humaine, elle est un principe universel et constant qui vaut pour tout être humaine ; C’est ce principe qui doit être notre guide dans l’élaboration d’une science de la paix et de l’éducation des hommes à la paix. »
Maria Montessori, « Eduquer pour la paix », conférence prononcée à Copenhague le 22 mai 1937.
Article rédigé par Patricia SPINELLI, fondatrice de l’Institut Supérieur Maria Montessori.
[1] FREUD Sigmund, EINSTEIN Albert, document version numérique par Vincent MAGOS « Les classiques des sciences sociales, version éditée à l’initiative de l’International de Coopération Intellectuelle- Société des nations 1933. site https://classiques.uqam.ca/
[2] EINSTEIN, Albert, opus cit p.5
[3] MONTESSORI Maria, l’Éducation et la Paix, DDB, 1996, P.25-46
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